Au cœur de la couleur

Boîte contenant un minéral pour la fabrication de la porcelaine, pierre collectée à Jingdezhen en Chine par la père Lazariste Joseph Ly, vers 1844. Musée Guimet. Photographie @cultureetpaillette

 « En art, la simplicité consiste à se concentrer sur l’essentiel et non à simplifier. »

Cet été, le musée Guimet nous invite à poser un oeil attentif sur la céramique chinoise, dans toute son « apparente » simplicité.

Il faut pour s’y plonger, ne pas hésiter à laisser au placard la vision typique du vase chinois : blanc-bleu, à motif de dragons, à fleurs multicolores ? Fi de ces artifices ! Ceux-ci n’ont point cours dans cette exposition, entièrement dédiée à la prouesse technique que représente la fabrication d’une céramique monochrome. Une technique où tout défaut dans le corps ou la couverte, toute faiblesse dans la mise en forme, la cuisson ou le dessin ne peut que nuire à l’impact visuel global de la pièce. Cette apparente simplicité est donc plus exigeante pour le potier et rend l’observateur plus attentif et plus susceptible de découvrir l’objet dans toutes ses dimensions.

Provenant de l’extraordinaire collection Zhuyuetang de Richard Kan et de celle du musée, 250 pièces exquises illustrent donc, le gout chinois pour la simplicité formelle et la pureté des coloris, issus de siècles de perfectionnement.

L’impressionnante scénographie de cette exposition est organisée en neuf sections réparties par couleurs : blanc, céladon, vert et turquoise, bleu, noir et aubergine, rouge, jaune, brun, couleurs de la nature et enfin arc-en-ciel. Chaque section évoque les connotations culturelles et symboliques liées aux couleurs et les techniques qui ont permis leur fabrication. Le visiteur est enfin guidé à travers ce parcours par une sélection de poèmes illustrant la profonde émotion que peuvent ressentir les Chinois devant la perfection de ces créations.

La première de ces couleurs est le blanc. Riche idée, car la céramique blanche, symbole de pureté, ne supporte aucun défaut et illustre merveilleusement le propos de l’exposition. Expression la plus parfaite de la porcelaine chinoise, la vaisselle blanche associe une pâte claire à une couverte transparente ou opaque teintée de blanc. Selon les matériaux et les recettes on obtient des blancs infiniment variés « blanc d’œuf, blanc sucré… ». la blancheur des porcelaine de Xing inspira les poètes qui le comparèrent à l’argent poli et à la neige.

Aiguière en forme de double gourde à décor de pivoines, Porcelaine, décor champlevé sous couverte transparente. Fours de Ding (province du Hebei), dynastie des Song du Nord, 11ème siècle. Musée Guimet @cultureetpaillette

La fete du nouvel an (détail) reproduction d’une encre sur soie, Dynastie Qing, règne de Qianlong, musée Guimet @cultureetpaillette

Après la section consacrée aux pièces de couleur blanche, nous entrons dans la catégorie des pièces vert «céladon », une terme qui recouvre plusieurs nuances du bleu-gris, au vert. Cette couleur est comparée par les lettrés au jade, matériau très précieux et hautement symbolique et confère donc aux pièces une préciosité particulière.

Aiguière céladon à double tête de phénix. Grès porcelaineux, décor champlevé sous couverte céladon. Fours de Yaozhou, milieu du 10ème siècle (dynastie des Song du Nord) Musée Guimet. @cultureetpaillette

La minute pailletée pour briller en société :

Savez vous d’où provient le mot « céladon » ? Il s’agit en réalité d’un nom, celui du héros du roman pastoral « l’Astrée » de l’écrivain Honoré d’Urfée. Céladon, jeune berger qui orne sa tenue de rubans vert d’eau, tombe amoureux de la bergère Astrée… Le roman connut un tel succès au moment où les céramiques chinoises de l’atelier de Longquan gagnaient en popularité en France, que la teinte vert d’eau de celles-ci fut naturellement renommée « Céladon ».

« Corps noir, craquelé comme de la glace, onctueux comme le jade. »
— Vers d’un poème écrit par l’empereur Qianlong en 1776

Les verts, les turquoise et les bleus se succèdent dans une longue galerie, avant de céder la place aux bruns, jaunes et rouges puis enfin aux couleurs imitant la nature et aux pièces multicolores…

Pièces de l’exposition « au cœur de la couleur » présentée au Musée Guimet. Photographie @cultureetpaillette

« (…) Couleurs dispersées sous le soleil éclatant, parfums diffusés par le vent doux. Les papillons déjà à moitié ivres du parfum des fleurs, s’envolent en titubant alors que nous passons par les chemins brodés de fleurs de toutes les couleurs. »
— Poème de l’empereur Qianlong sur un vase « couleurs changeantes »

Parmi les pièces m’ayant le plus interpellée, j’ai été particulièrement touchée par les céramiques « poussière de thé » donc la couleur et la texture évoquent la feuille de thé broyée. Quel soyeux !

Tripode en forme de panier, porcelaine à couverte « poussière de thé », fours de Jingdezhen (province du Jiangxi). Dynastie Qing, marque et règne de Yongzheng. @cultureetpaillettes

Les porcelaines à couverte « œuf de rouge-gorge » avec leurs nuances de bleu turquoise ont également charmé mon œil. Une telle poésie dans le nom de ces couleurs laisse rêveur…

Vase en porcelaine à couverte « œuf de rouge-gorge », fours de Jingdezhen (province du Jiangxi), dynastie Qing, marque et règne de Qianlong, @cultureetpaillettes

On s’immerge au fil de cette exposition dans un état contemplatif, similaire au recueillement.

Les pièces, toutes plus exquises les unes que les autres nous invitent, depuis leur muette vitrine, à nous plonger dans la Chine sophistiquée des empereurs et des élites.

Ici, une jardinière délicate nous évoque le lettré âgé qui arrose ses pivoines, avant de s’assoir précautionneusement sous sa véranda, pour rédiger quelques lignes en leur honneur. Là, un vase destiné aux offrandes nous transporte au cœur d’un rituel impérial complexe et précieux.

Tout le parcours est un appel à une rêverie apaisée et délicate, où l’importance du contenant pour lui-même nous est rappelée. Cette recherche de perfection dans la forme et dans la couleur nous évoque l’importance que les lettrés chinois donnaient à la matière, acteur et reflet de l’univers, et à l’exigence de pureté de la vaisselle utilisée pour les rituels.

On émerge de cette déambulation en état de semi-méditation, clignant des yeux devant la lumière vive et la circulation bruyante de la place d’Iena.

Une parenthèse rafraîchissante pour l’été 2024, à ne surtout pas manquer.



« au cœur de la couleur, chefs d’œuvre de la céramique monochrome chinoise du 8ème au 18ème siècle » à découvrir au Musée Guimet jusqu’au 16/09.

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