Peindre la nature
arbre en fleurs (détail) 1882, Musée d’Orsay crédit photographique @cultureetpaillette
Hey ! Vous là ! Vous qui êtes sous votre plaid, avec le bout du nez qui dépasse. Vous qui avez froid, qui exécrez ce temps maussade…
- maussade est-il un adjectif suffisamment appuyé au vu des trombes d’eau qui nous inondent depuis plusieurs mois? -
Petite suggestion pour ressentir le printemps (à défaut de le vivre) : êtes vous allé voir l’une des expositions dédiées à l’impressionnisme qui émaillent le paysage muséal en ce printemps 2024?
Vous êtes vous plus précisément déplacé.e au musée des Beaux-Arts de Tourcoing pour admirer l’exposition « peindre la nature? » n’hésitez plus, il ne reste que 14 jours !
Comment rendre une sensation? C’est par ces mots que nous démarrons notre parcours. Accompagné.e.s d’un audioguide très bien fait et émaillé de mélodies qui nous permet de nous laisser aller à la contemplation, nous entrons dans l’exposition.
Le paysage réaliste et le développement de la peinture de plein air
Le rejet de conventions du paysage historique avec ses scènes mythologiques et sa nature recomposée en atelier, voilà la base. Couplée à certaines inventions qui lui permettent de se libérer du cadre de son atelier, le peintre équipé de ses nouveaux tubes de peinture et de son chevalet, s’attaque à l’extérieur. Le développement des chemins de fer permet également aux peintres de se déplacer plus loin. Les premiers influenceurs des impressionnistes sont les peintres de l’école de Barbizon, aventuriers de la forêt de Fontainebleau où : «Tout est broussailleux, moussu, libéré.»
Suivant l’exemple de leurs ainés en travaillant « sur le motif », les impressionnistes cherchent à traduire les effets du plein air dans des peintures non plus considérées comme des ébauches ou des esquisses, mais comme des oeuvres achevées, exposées et signés.
La minute pailletée pour briller en société :
Le mot même d’impressionniste, s’il vient du tableau très célèbre « Impression Soleil Levant » de Claude Monet (1874, retenez la date, ça fait son petit effet) est utilisé pour la première fois comme terme moqueur par le critique d’art Louis Leroy du magazine Charivari « Il était réservé à Monsieur Monet de lui donner le dernier coup. « Ah, le voilà, le voilà s'écria-t-il devant le numéro 98. Je le reconnais. Le favori de papa Vincent! Que représente cette toile? Voyez au livret : Impression, soleil levant — Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi : puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans. ». Les impressionnistes reprendront ce terme moqueur et le revendiqueront, bonne manière de se faire de la pub !
À l’époque où la peinture était une affaire intellectuelle, une « cosa mentale », les impressionnistes revendiquent spontanéité et fraîcheur mais également le terme même « d’impression » qui ne désignait jusqu’à présent que les esquisses, les œuvres inachevées.
Thèmes de prédilection
À la recherche de sujets modernes mais aussi de défis techniques, ces nouveaux « impressionnistes » jettent leur dévolu sur la Seine, qui leur permet de représenter les effets mouvants de l’eau et du ciel, ainsi que sur des paysages marqués par l’activité humaine. Tout ce beau monde parisien se déplace en train jusqu’aux villages de Marly, Louveciennes, Bougival ou Argenteuil pour des petites « parties de campagne » (formulation élégante de « pique-nique »)
La Seine et le Louvre, Camille Pissarro 1903, musée d’Orsay, crédit photographique @cultureetpaillette
L’audace de ces expérimentations plastiques et le choix de ces nouveaux sujets, entraine le rejet fréquent de leurs oeuvres au salon des Beaux-Arts au cours des années 1860 et au début des années 1870.
La visite se continue ensuite par ma partie préférée, les jardins ! La représentation des jardins d’agrément est une composante essentielle de la peinture impressionniste: pourquoi aller plus loin quand on peut peindre son jardin ! Nos impressionnistes peuvent peindre en plein air et certains, comme Monet ou Caillebotte deviennent de vrais peintres jardiniers, aménageant respectivement d’immenses jardins à Giverny et au Petit-Gennevilliers. Pas de symbolisme religieux ou moral dans ce jardin qui est simplement un bout de nature dédié au plaisir de la contemplation, et ça, ça change tout. « Je suis en lutte avec des arbres en fleurs & je ne veux rien voir au delà » nous explique Renoir dans une lettre.
Moi mon petit Auguste, je suis en lutte contre les limaces qui dévorent mes dahlias. Chacun son combat.
Coin de jardin à l’Hermitage Pontoise, Camille Pissarro, 1877, Musée d’Orsay, crédit photographique @cultureetpaillette
Le point de vue devient carrément immersif, nous sommes comme plongés dans la toile et rafraîchis par la brise qui souffle entre les feuilles. Certains comme Monet et Renoir favorisent les fleurs et les reflets, d’autres comme Pissarro, préfèrent représenter la terre productrice et le travail de l’homme.
Le peintre impressionniste s’attache tout particulièrement à observer et à reproduire le passage des saisons. La silhouette délicate d’un prunier en fleurs, la fraîcheur estivale d’une forêt sont rendues par une riche gamme de couleurs et de multiples touches qui traduisent la vibration de la lumière.
Les paysages de neige sont également à l’honneur. L’artiste doit repousser ses limites, aussi bien physiques en bravant le froid que visuelles en restituant les reflets du soleil sur le paysage enneigé de façon novatrice. Pour Monet, le défi culmine autour de 1879-1880 à Vétheuil, alors qu’un hiver particulièrement rigoureux fait geler la seine et lui arrache sa femme, Camille. Avec « le Givre » Monet crée un paysage boréal, parant la neige de teintes rose et bleues presque fantastiques.
Le Givre (détail), Claude Monet, 1880, musée d’Orsay, crédit photographique @cultureetpaillette
Dissolution progressive des composantes dans la lumière
Après le Givre, l’exposition nous révèle le tournant pris par Monet dans les années 1890. Poussant plus loin les concepts impressionnistes : le passage des saisons, le rendu des couleurs et des sensations avant tout, il démarre des séries, peignant sans relâche le même sujet en boucle, espérant en saisir tous les changements atmosphériques.
Une tâche répétitive où le sujet et les formes se dissolvent progressivement dans la couleur…
Si vous êtes convaincu.e.s, foncez découvrir cette exposition qui recèle encore mille autres trésors. Une touche lumineuse, des couleurs exubérantes une retranscription franche et instantanée de la nature, les oeuvres impressionnistes nous émeuvent au delà de toute perception intellectuele. En cela n’accomplissent-elles pas la vocation et la raison même d’être de toute création artistique ? Ce qui est sûr, c’est qu’on les redécouvre toujours avec plaisir.
Peindre la nature. Paysages impressionnistes du musée d’Orsay
Du 16 mars au 24 juin 2024 à l’occasion des 150 ans du mouvement impressionniste. MuBA de Tourcoing.